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  • Photo du rédacteurAntonin Satti

(SPAV n°3) - Les bouquinistes de Paris : quel lien avec la Seine et son paysage ?

Cet article s'inscrit dans une série de publications issues de travaux étudiants. En partant de la lecture du manifeste "La Seine n'est pas à vendre" (SPAV), un texte qui défend les relations villes-fleuves - et spécialement les intérêts écologiques, paysagers ou encore fonctionnels de la Seine et des villes qu'elle traverse -, il était demandé une réflexion libre autour des principes du manifeste, en étudiant un aménagement ou un espace en bord de Seine. Intitulée SPAV (La Seine n'est pas à vendre), notre série vous emmène pour ce troisième article en plein cœur de Paris, où Antonin Satti a étudié l'implantation des célèbres bouquinistes des quais de Seine.



Le manifeste La Seine n’est pas à vendre (COLLECTIF, La Seine n’est pas à vendre !, Libération, 6 février 2018) et les débats suscités à la suite de sa publication (MISSIKA JL., La Seine n’est pas à vendre, bien évidemment, Libération, 14 février 2018) semblent poser au moins trois questions, qui sont également soulevées par la présence des bouquinistes des quais de Seine à Paris.

1/ La première porte sur la dimension paysagère : le manifeste suggère l’idée que la Seine à Paris, par son paysage et les représentations qu’elle convoque, puisse représenter « l’âme » de la capitale. De là, les bouquinistes installé·e·s sur les quais de Seine m’ont paru emblématiques de ce paysage urbain et fluvial, comme faisant partie d’un mythe ou d’une image d’Epinal inscrite dans les temps longs.

2/ Outre l’histoire de ce paysage et de cette activité singulière, c’est aussi ses logiques spatiales et sa relation au fleuve qui m'ont interpellé. Comment se joue l’occupation de cet espace singulier qui est pourtant localisé dans un site classé par l’Unesco, mais aussi classé en zone rouge du PLU (pour des risques d’inondations) ?

3/ Troisièmement, le manifeste comme les bouquinistes posent la question de la fonction commerciale des rives de la Seine : les bouquinistes sont en effet un exemple de permanence exceptionnelle d’activités commerciales sur les rives de la Seine, alors que le manifeste tend à remettre en question le développement économique séquanien au nom d'intérêts paysagers.


Au-delà de ces trois questions (paysagères, spatiales et commerciales), les bouquinistes et le manifeste interrogent l’animation culturelle, quotidienne et touristique de la Seine, ici en plein cœur de Paris. La question de savoir « qui » s’approprie ce linéaire me semblait intéressante dans la mesure où on pouvait la rattacher premièrement à la notion de « droit à la rive » évoquée dans le manifeste, mais aussi à la valorisation patrimoniale du fleuve et de ses abords que le texte mentionne aussi. Qui s’approprie aujourd’hui ces boîtes vertes revient aussi à se demander qui profite de l’attractivité de cet espace, qui participe de son évolution et de son dynamisme, ou bien qui le freine au nom de sa conservation patrimoniale. Se demander à qui profite ces boîtes, c’est donc aussi se demander à qui appartient la Seine.



Une approche d'abord historique : l'inscription progressive des bouquinistes dans le paysage économique et urbain de Paris


Historiquement, les bouquinistes sont les héritier·ère·s des « colporteurs », des vendeurs de livres itinérants qui ont commencé à développer leur activité au XVIe siècle autour du Pont-Neuf, sur chaque rive de la Seine. Les bouquinistes, comme nous les connaissons de nos jours, s’établissent véritablement au milieu du XIXe siècle, même si Haussmann tente de les expulser en 1866. Ce dernier est contraint de faire marche arrière face aux érudits parisiens qui prennent la défense des bouquinistes, ce qui témoigne déjà d’une réelle insertion de la profession dans l’espace marchand local, et d'une inscription significative dans l'espace urbain, puisque cette profession passe d'une condition itinérante à une situation établie.


La survie de l’activité est cependant conditionnée à une forte réglementation concernant leur installation en bord de Seine, qui devient donc un problème d’aménagement public et extérieur comme une question d’esthétique. C’est donc depuis la fin du XIXe siècle (1891) que les boîtes de bouquinistes que nous connaissons doivent respecter une taille réglementaire et une couleur, le vert wagon, qui leur est imposée. Outre le paysage économique, les bouquinistes se sont donc aussi intégré·e·s peu à peu dans le paysage urbain parisien, et donc dans les représentations collectives, rayonnant de plus en plus comme une image d'Epinal ou un symbole/mythe.

Les colporteurs et marchands sur le Pont-Neuf, au XVIe siècle.

(L’Embarras de Paris (le Pont-Neuf), 1715, Nicolas Guérard)


Ce rayonnement est consacré à une échelle internationale lors de l’inscription des « rives de Seine de Paris » au patrimoine mondial de l’Unesco en 1991. Dans la présentation du site par l’Unesco, qui dépasse le secteur des bouquinistes, l’institution revient sur l’authenticité du site et son intégrité qui recouvre un périmètre allant du pont de Sully au pont d’Iéna rive droite et au pont d’Hakeim rive gauche. Les rives de la Seine ont été classées, toujours selon l’Unesco, en raison des chefs d’œuvres architecturaux présents le long du fleuve, de la dimension historique de cette architecture et enfin en signe de reconnaissance de toutes les évolutions qu’ont connu les relations humaines avec le fleuve (fonction d’échange, de défense, de promenade...). Dès lors, les bouquinistes s’inscrivent entièrement dans cette histoire de la relation ville-fleuve comme dans une histoire des relations d’échange et de promenade qui y ont cours. En effet, les bouquinistes forment une continuité récréative et commerciale sur le linéaire des quais hauts depuis plus d’un siècle. Les bouquinistes ont d’ailleurs été classé·e·s au patrimoine culturel immatériel de la France en 2019.

Le périmètre « Rives de Seine de Paris » (367ha) inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco (Capture d'écran issue d'une étude de l'Apur)



Devenir bouquiniste, s’installer le long de la Seine


Mais au-delà de ce caractère immatériel, les bouquinistes sont toujours installé·e·s selon un aménagement singulier et réglementé (par la Mairie de Paris). En effet, pour devenir bouquiniste, il est demandé de présenter un projet et une spécialisation de vente auprès d’une commission à la Mairie de Paris qui en a la charge. Lors de mes relevés il y a un an, le temps d’attente avant une désignation pouvait varier de 6 mois à 10 ans pour obtenir une place, mais le contexte de pénurie de bouquinistes aujourd’hui raccourcit ces délais. Ensuite, une ouverture minimale de 4 fois par semaine est exigée par la Mairie. Enfin, pour faciliter l’installation des bouquinistes et faire face à la précarité de ce métier (au statut d’autoentrepreneur), la Mairie les exonère de toute taxe et de tout loyer.


Enfin, l'installation se fait dans un périmètre de 3 kilomètres qui s’étend le long de la Seine, allant à l’ouest du quai Voltaire dans le VIIe arrondissement (pour la rive gauche) et du quai François Mitterrand dans le Ier (pour la rive droite) jusqu’au Pont Marie à l’est, un ouvrage qui relie les IVe et Ve arrondissements.

Localisation des bouquinistes en 2018 (Mairie de Paris)


Concernant l’installation en elle-même, le linéaire fait lui aussi l’objet de réglementations fortes : chaque bouquiniste dispose d’au plus 8 mètres de parapets, de 4 boîtes, qui doivent d’ailleurs mesurer au maximum 2,10 mètres pour ne pas gêner la vue. On voit bien alors que le rapport à la Seine est structurant, principalement dans son identité paysagère. Quant aux produits vendus, la Mairie de Paris a dû rappeler à l’ordre certains bouquinistes en 2009 qui vendaient davantage de souvenirs, de gadgets et autres bibelots que de livres. Maintenant, ce type d’articles doit représenter au maximum une boîte sur quatre dans la surface de vente (25%), et rester à l’intérieur de celle-ci.

Une insertion discrète et valorisante dans le patrimoine architectural autour de la Seine, même si les livres ne sont pas toujours les produits mis en avant (Photographie personnelle)



Les limites d’un tel aménagement


Les premières limites de cet aménagement touchent d’abord celles et ceux qui le pratiquent chaque jour : les bouquinistes. Cette profession reste en effet très précaire, bien qu’elle reste appréciée pour la liberté qu’elle offre : « Pour moi qui travaillait dans une compagnie de théâtre de rue et de marionnettes, travailler dans la rue c’est un luxe », m’a confié une bouquiniste. Un autre, plus loin vers l’est, déplore que les Francilien•ne•s viennent moins sur les quais. Se pose en effet le problème de la fréquentation de cet espace, que beaucoup associent à un nombre trop important de boîtes fermées. « 2500 livres sont proposés alors qu’on pourrait en proposer 40 000. En ouvrant plus de boîtes, on ferait venir plus de monde. Les gens sauraient qu’en venant sur les quais ils trouveraient quelque chose », me dit-il. Le problème de la fréquentation se pose d’abord sur la quantité de l’offre : la demande déserte-t-elle les quais en raison d’une offre moindre ? Le problème de la fréquentation se pose également sur la qualité de l’offre : quelle part de la demande est composée de Franciliens, quelle part de touristes ? Ces deux questions restent liées car une offre trop tournée vers les touristes a pour effet d’éloigner les Franciliens.


Leur métier manque aussi de visibilité, ce qui pourrait être un enjeu de revalorisation à l’échelle métropolitaine : en 2014, un premier festival des bouquinistes fut organisé, mais seulement une quarantaine d’entre eux y participèrent (sur 200) ; la contribution au site internet suit les mêmes proportions (https://bouquinistesdeparis.com/). L’association des bouquinistes récemment créée fait face à des rivalités entre bouquinistes, entre rive droite et rive gauche. Lors de discussions avec certain·e·s, des jeux de pouvoir et de place ont pu être constatés. Leur profession semble suivre une logique individualiste plus que corporatiste.



Les bouquinistes face aux craintes de marchandisation et de privatisation de la Seine


L’exemple des bouquinistes montre bien que l’histoire de la Seine et de l’aménagement de ses berges est aussi celle de différentes phases d’implantations d’acteurs et d'actrices économiques. Les auteur·rice·s du manifeste craignent, à juste titre, une marchandisation excessive et une privatisation de l’espace séquanien, notamment à Paris.


Or face à la première crainte (marchandisation), l’exemple des bouquinistes témoigne, me semble-t-il, d’un certain degré de tolérance vis-à-vis de la présence de ce type de commerçants le long de cet espace. Cela se justifie sans doute par au moins trois raisons. Les bouquinistes et leurs boîtes sont désormais objets de patrimoine, c’est-à-dire qu’ils sont ancrés aussi bien dans le paysage de Paris que dans son histoire ; ils ont résisté aux très nombreuses crises du secteur du livre, aux évolutions des activités marchandes de la Seine à Paris et aux menaces extérieures au nom de projets urbains (Haussmann). Plus qu’une simple inscription dans l’espace et le temps, c’est donc une implantation plusieurs fois conquise qui semble d’abord justifier l’existence d’une marchandisation douce sur les quais, peu remise en cause. Deuxièmement, leur spécialisation dans la vente de livres anciens, d’occasions et/ou rares, à faible valeur ajoutée, et d'objets de collection, en fait un type d’activité commerciale plutôt valorisé et inoffensif du point de vue de son poids géoéconomique ; il n’est plus l’heure pour les libraires de craindre une concurrence significative de la part des bouquinistes. Enfin, cette marchandisation des quais – on peut parler de marchandisation dans la mesure où beaucoup d’acheteurs sont aussi des promeneurs, qui consomment ces livres car ils consomment aussi de l’espace – demeure discrète dans l’espace public, relativement aux autres bâtiments qui bordent le fleuve, voire font partie intégrante de ce même espace public. Les réglementations portant sur les dimensions des boîtes, comme vu ci-haut, permettent à cette activité marchande de s’intégrer discrètement et harmonieusement dans le paysage urbain et fluvial parisien. Peu remis en cause, les bouquinistes en bord de Seine semblent même respecter ce principe cher du manifeste qui consiste à maintenir le charme et la beauté du site, dont on peut dire qu'ils et elles contribuent. Ce fait là, comme les deux précédents, permet donc d’expliquer la permanence de cette activité marchande que l’on peut qualifier de marchandisation douce, acceptable et acceptée.


La seconde crainte (privatisation) est aussi, avec le cas des bouquinistes, en partie levée du fait d’une relative emprise privée du foncier, qui est ici détenu par la Mairie. Au contraire, celle-ci fait même un geste inédit en acceptant 220 espaces de vente sans retour financier pour la collectivité (ni loyer, ni redevance, ni taxe). A première vue, donc, l’existence des bouquinistes ne semble pas être remise en cause ni même la cible centrale des critiques que l’on pourrait faire au regard des principes du manifeste. Pourtant celui-ci aborde des thématiques qui permettent de faire émerger différentes perspectives critiques à propos des bouquinistes.



« Valoriser le patrimoine matériel » : mais lequel ?


Une première critique peut venir de la question de la « valorisation du patrimoine » qu’évoque le manifeste : « revaloriser les patrimoines matériels de la Seine » est ici à la croisée de deux sens opposés, car il peut aussi bien aller dans le sens d’un statu quo sur l’existence des bouquinistes, nous exemptant alors de toute réflexion sur le développement et la revalorisation de leur activité ; ou bien « revaloriser les patrimoines » peut au contraire nous interroger sur ce qui fait patrimoine (les boîtes ? la vente de seuls livres ? pourquoi ne pas étendre la vente aux vinyles ou autres créations artistiques ?), et engage alors une réflexion sur de possibles évolutions de la forme que prend la présence des bouquinistes (via les boîtes) et d’une véritable remise en valeur de leur activité dans un contexte de multiples crises. Les bouquinistes traversent d’abord durement la crise sanitaire avec les confinements successifs et la baisse de fréquentations de touristes. Les bouquinistes, ensuite, se font rares et la Mairie a récemment dû lancer une campagne d’appels à candidatures face à la fermeture de trop nombreuses boîtes (on s’étonnerait presque d’en voir ouvertes sur certains quais désertés). Enfin, depuis une décennie donc, une critique émerge face à la tendance de certains bouquinistes à ne pas valoriser le livre mais seulement servir une mise en tourisme de la Seine. Ainsi, « valoriser le patrimoine » est un principe du manifeste qui peut poser une réflexion sur ce qui fait patrimoine et donc, au nom de ce patrimoine, mérite d’être protégé ou bien d’évoluer.

De nombreuses boîtes fermées, souvent détériorées. (Archives / SL / actu Paris)



La faible régulation de la mise en tourisme


La question de la mise en tourisme est bien un deuxième point limite du site sur lesquels l’activité est implantée. En effet, les livres semblent passer pour certains cas au second plan. Si la vente de bibelots est réglementée dans les textes, elle ne fait l’objet d’aucun contrôle après en avoir discuté avec les bouquinistes. Il en va de même pour les autres grandes règles : certains m’ont avoué ne pas respecter l’ouverture sur au moins 4 jours et beaucoup délèguent leur espace à des « ouvre-boîtes », connaissances qui ouvrent boutique à leur place la journée, ce qui là aussi doit être rigoureusement contrôlé, a priori.


Il existe donc bien une mise en tourisme plus ou moins assumée de la part de certains vendeurs et de certaines vendeuses. Certain·e·s se servent de bibelots pour diversifier leur offre quand d’autres se servent de livres pour masquer leur vrai commerce. D’ailleurs, si leur présence en bord de Seine est assurée du fait de leur reconnaissance comme patrimoine et élément paysager, ils et elles participent en retour d’une véritable promotion urbaine, d’une mise en tourisme des quais de Seine et constituent un élément d’attractivité pour qui souhaite consommer de l’espace sur les quais hauts. Cela profite aussi aux boutiques, cafés et restaurants qui sont sur la rue, que les bouquinistes connaissent bien (ils et elles s’entendent avec ces commerces pour aller aux toilettes, se réchauffer, etc). Finalement, les bouquinistes sont sans doute davantage tourné·e·s vers la ville que vers le fleuve et son écosystème. Et tout ce système ne semble pas voué à être remis en cause. Or, un des points du manifeste porte sur la régulation de la « circulation touristique et [d]es activités privatives le long des berges » : si le foncier ne fait l’objet d’aucune spéculation ou réelle privatisation légale, les bouquinistes ont le primat concernant l’occupation d’usage et quotidienne du linéaire au centre de Paris. Ceci semble paradoxal dans la mesure où l’achat de livre aux bouquinistes par les Parisien·ne·s est sorti de leur cadre quotidien.


A qui appartient la Seine et sa future programmation ?


On peut donc alors questionner la légitimité d’une telle occupation de l’espace par des auteur·rice·s inégalement investi·e·s et impliqué·e·s. Le manifeste défend une « vision respectueuse et dynamique du fleuve » ; pourtant, la muséification de la ville et des berges de Seine que certain·e·s bouquinistes entretiennent tend souvent à empêcher l’éclosion de nouvelles initiatives, et viennent donc freiner voire bloquer ce « dynamisme » souhaité. Attention cependant à ne pas les rendre responsables d'une situation figée, alors que nombre de bouquinistes m'ont déploré l'inertie d'un système qui empêche ou freine des évolutions et transformations. En effet, en 2012, la Mairie avait par exemple fait appel à des designers pour réinventer les boîtes des bouquinistes ; or non seulement ce projet n’a jamais abouti, mais en plus aucun·e bouquiniste n’avait été consulté·e pour la conception de ces nouvelles boîtes, sans questionner leurs besoins ou encore les contraintes de leur outil de travail actuel.

Propositions de nouveaux designs pour les boîtes en 2012. Projet avorté et fait à l’ombre des bouquinistes. (Vivre le Marais, Vivre Paris centre !)


Le manifeste appelle même à « soutenir et encourager les pratiques sensibles et populaires, insuffler de l’imaginaire, valoriser le temps long du fleuve », et même « encourager les modes informels d’appropriation du fleuve ». C’est donc en s’inspirant de ces principes que le modèle économique unique des bouquinistes pourrait être repensé. La question de la diversification de leur fond de commerce par d’autres créations culturelles pose problème car elle remet en cause leur dénomination de « bouquinistes » ; mais la réflexion doit dépasser ce blocage et ne pas empêcher une réflexion sur une appropriation plus large, plus ouverte, plus accessible de ce linéaire. Si celui-ci reste discret et interstitiel, il représente malgré tout l’interface la plus resserrée entre ville et fleuve.


Une des propositions du manifeste vient répondre à cet enjeu : l’idée de « développer un droit à la rive pour tous les citoyens » selon les contextes permettrait, je crois, d’étendre l’appropriation de ces espaces aux habitant·e·s, de réinvestir ces interstices et de leur redonner leur fonction de lieu de vie, de rencontres et d’échanges. Des débats publics, demandés par l’association LaSPAV (« la Seine mérite plus que toute autre qu’on prenne le temps d’en débattre publiquement »), permettraient d’intégrer les capacités créatives et les propositions des habitant·e·s, comme celles des bouquinistes. Parmi eux, certain·e·s s’avouent bridé·e·s dans leurs projets par la Mairie. Se réapproprier ces boîtes participe donc de la contestation de « la légitimité de l’appropriation des rives du fleuve par les seuls acteurs économiques ou institutionnels », comme le dit le manifeste. Le contrôle municipal attaché à une patrimonialisation ne doit pas freiner le développement et l’évolution de cette activité. L’association LaSPAV, qui se veut à la fois « lanceur d’alerte, force de propositions, rassembleur d’idées et de projets », pourrait donc pleinement s’intéresser à cet espace et ce qui s’y joue en matière culturelle.



Pour conclure


L’exemple des bouquinistes fait la part belle à l’argument de JL Missika selon qui les « ponts étaient animés autrefois ». Les berges de Seine du centre de Paris ont en effet toujours fait l’objet d’intenses échanges, aussi bien marchands qu’humains. Mais cet exemple donne aussi corps à la phrase du manifeste LaSPAV selon qui, avec l’urbanisme, « on ne réinvente pas, on poursuit toujours une histoire ». Cette continuité urbaine et historique fait du site un élément patrimonial et paysager peu remis en cause. Malgré tout, la tendance à la patrimonialisation se double d’une certaine mise en tourisme très peu maîtrisée par les services de la Mairie. Celle-ci joue un rôle ambivalent en restreignant la seule activité aux livres tout en fermant les yeux sur la diversification touristique. Les bouquinistes sont-ils une profession libraire ou touristique ? Très certainement, les deux à la fois, mais à différent degré selon les cas. Le dialogue entre cette étude de cas et le manifeste fait donc ressortir une tension entre patrimonialisation figée d’une part et une évolution de l’activité tendant vers la mise en tourisme et/ou la diversification culturelle d’autre part. Valoriser un tel patrimoine historique et paysager est louable, mais cela ne doit pas se faire au détriment des aspirations des bouquinistes, des habitant·e·s et des Francilien·ne·s. Si la Seine n’est pas à vendre, elle ne doit pas non plus être un musée figé à ciel ouvert, parsemé de boîtes de bouquinistes fermées à clé ou fermées aussi bien sur la Seine et que sur le reste de la ville.


Sources utilisées pour la rédaction de l'article

- Manifeste de LaSPAV [maj. au 25 février 2020]

- COLLECTIF, La Seine n’est pas à vendre !, Libération, 6 février 2018

- MISSIKA JL., La Seine n’est pas à vendre, bien évidemment, Libération, 14 février 2018

- SOREL P., Petite histoire de la librairie française, Paris, La Fabrique, 2021, 240 p.

- Rapport de l’Apur pour la Mairie de Paris délivré à l’Unesco : Paris, rives de la Seine. Le projet des berges de Seine en 2012. Prise en compte de la valeur patrimoniale du bien, « Paris, rives de la Seine », inscrit sur la Liste du patrimoine mondial : https://www.apur.org/fr/nos-travaux/1991-cest-lannee-linscription-berges-seine-paris-patrimoine-mondial-lunesco

- Règlement des bouquinistes des quais de la Seine, Direction du Développement Economique, de l’Emploi et de l’Enseignement Supérieur



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