Diplômé en 2011, Paul Citron est devenu président de l'association Surface+Utile. Avant de créer cette association, il a notamment travaillé au sein de la coopérative Plateau Urbain. Il revient sur son parcours.
Rêv'urba : Pourriez-vous décrire brièvement votre parcours universitaire ? Quels étaient les thèmes qui vous intéressaient lors de votre formation en urbanisme ?
Paul Citron : J’ai fait le magistère d’aménagement de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, de 2008 à 2010. En Master 1, j’ai d’abord travaillé sur « La production de l’espace », un livre de Henri Lefebvre, grand théoricien de la ville et de l’urbain qui m’a beaucoup influencé. Ensuite j’ai travaillé sur l’apparition de la « mode » des écoquartiers. Ils commençaient à faire beaucoup parler d’eux dans le domaine des politiques urbaines.
Pourquoi vous être intéressé à ces deux thèmes en particulier ?
Je m’intéressais à la rencontre entre la philosophie politique et l’urbanisme. Étudier l’ouvrage d’Henri Lefebvre, qui est l’un des fondateurs du courant néo-marxiste, c’était un moyen d’explorer cette rencontre, de faire de la théorie qui puisse être ancrée dans l’espace. Cela m’intéressait aussi d’observer la façon dont l’urbanisme agissait au prisme des enjeux écologiques et d’étudier comment ils s'incarnent dans la ville marchande libérale.
Comment s’est déroulé le passage de la fin de vos études à votre premier emploi ? Souhaitiez-vous entrer dans le monde professionnel directement après le M2 ?
Mon entrée dans le monde professionnel a été très progressive, puisque après mon Master 2 je suis parti habiter en Argentine un an avant de revenir en France et de commencer ma thèse de doctorat pendant 5 ans. J’ai étudié le rôle des promoteurs immobiliers dans la production de la ville. Cette thèse s’’inscrivait dans mes sujets de prédilection, je voulais étudier ceux qui recevaient et appliquaient les injonctions liées aux enjeux écologiques dans le cadre de la production urbaine et je trouvais que les promoteurs n’étaient pas assez étudiés dans la recherche en urbanisme.
Quelques années avant la fin de ma thèse, en 2013, nous nous sommes réunis avec des camarades de promotion autour de Simon Laisney pour lancer Plateau Urbain. L’idée commune était qu’il était possible d’utiliser nos connaissances sur le monde de l’immobilier et l’urbanisme pour tenter d’apporter de nouvelles façons de faire la ville. On observait beaucoup de vacance immobilière - l’absence d’occupation - en milieu urbain, alors nous nous sommes dit qu’il était peut-être possible de faire quelque chose pour y remédier et redonner une vocation à ces espaces vides. Nous étions inspirés par ce que l’on appellera plus tard les tiers-lieux, avec le 6b à Saint-Denis ou Darwin à Bordeaux. On se disait qu’il serait utile et intéressant de généraliser ce mode d’occupation de lieux disponibles.
Pouvez-vous me parler de Plateau Urbain et de ses activités ?
A l’origine Plateau Urbain était une association dont l’objectif était de faciliter l’occupation temporaire d’immeubles vacants. Elle est devenue une société coopérative d’intérêt collectif. Elle compte une centaine de salariés qui organisent l’occupation d’immeubles vacants et accompagnent des acteurs publics, des propriétaires et des occupants pour monter des projets d’urbanisme transitoire au sein du territoire du Grand Paris, de Lyon, Bordeaux, avec des activités de conseil un peu partout en France et même en dehors, en effet nous venons de remporter un appel d’offre à Bruxelles !
Quelles étaient vos missions au sein de Plateau Urbain ?
Au départ tout le monde faisait tout, parce qu’on était une petite équipe, donc mes missions allaient de l’administratif à de la prospection, de la gestion ou encore de l’organisation de visites. Quand Plateau Urbain a commencé à se structurer, je suis devenu le directeur de développement, c’est-à-dire que j’étais chargé de repérer les propriétaires d’immeubles vides, de négocier avec eux dans l’optique qu’ils acceptent de nous prêter leurs biens immobiliers et d’aller jusqu’à la signature des contrats, voire un peu après, soit jusqu’à l’appel à candidatures pour occuper les immeubles.
A côté de cela j’étais aussi en charge des aspects « recherche » et « prospective ». Pour réfléchir à nos pratiques d’urbanisme expérimental et à vocation extra-marchande nous avons par exemple lancé la Preuve par 7 ou l’outil Commune Mesure. C’était aussi un moyen de garder des liens avec le monde de la recherche et les institutions de l’urbanisme. Dans ce cadre, nous avons participé à des collectifs comme celui des Nouvelles Urbanités, qui nous a permis d’entamer des opérations de plaidoyer visant à mener une réflexion autour de la manière dont on pouvait diffuser nos idées.
Comment se déroulait votre travail de recherche de bâtiments vacants ?
Mon travail ne consistait pas à me balader dans la ville et à repérer les immeubles vides ! Avec Plateau Urbain on a plutôt eu une approche par acteurs. On allait voir les promoteurs immobiliers, les foncières ou les propriétaires institutionnels qui nous semblaient suffisamment gros et importants qu’il était impossible qu’ils ne possèdent aucun immeuble vacant. Cette méthode s’est révélée beaucoup plus efficace que de procéder immeuble par immeuble. On répondait aussi à des appels à projet, puis petit à petit c’est nous que l’on a commencé à contacter. Le rapport s’est inversé. Avec le temps, c’était davantage à nous de sélectionner les immeubles vides parmi ceux disponibles pour y développer un projet.
Au fil des années avez-vous observé une sorte de « démocratisation » de l’urbanisme transitoire ?
Rappelons que Plateau Urbain n’a pas inventé l’urbanisme transitoire ! Mais peut-être que la coopérative a contribué à sa démocratisation et à sa facilitation par l’apport d’outils. Les activités de Plateau Urbain ont permis aussi de montrer qu’il est possible que des opérations en urbanisme transitoire se déroulent facilement ce qui a rassuré tous ceux qui pouvaient devenir partie prenante de nos projets. Je pense également que l’on a progressivement chassé les représentations fantasmées qui existaient autour de ce type d’urbanisme, y compris vis-à-vis des occupants. On a observé un réel changement de regard.
En 2022 vous avez choisi de quitter Plateau Urbain, qu’est-ce qui a motivé cette décision ?
J’avais constitué une équipe formidable qui devenait de plus en plus autonome, autour de Angèle de Lamberterie. En 2022, tout se passait bien à Plateau Urbain, en particulier après 2020 qui fut une année compliquée pour toutes les structures. J’ai pensé que c’était le bon moment pour passer le relais à des personnes qui avaient pleins de nouvelles idées à apporter. Donc mon départ s’est fait assez naturellement. C’est à ce moment que PU est devenue une société avec un conseil de surveillance, et Simon Laisney m’a proposé de devenir le président de ce conseil.
Cet organe de gouvernance est élu lors de l’assemblée générale, son rôle consiste à nommer le directoire et valider, environ quatre fois par an, les grandes décisions stratégiques prises par ce dernier. C’est plutôt un organe de conseil bienveillant que de « surveillance » au sens strict du terme.
En quittant Plateau Urbain, aviez-vous envie de faire autre chose sur le plan professionnel ? De vous lancer dans une nouvelle aventure ?
Absolument ! Aujourd’hui je suis professeur associé à mi-temps à l’Ecole d’Urbanisme de Paris, j’ai aussi des activités d’urbaniste indépendant. Mon dernier projet en date est la création de l’association Surface+Utile. C’est une association de plaidoyer en faveur d’un parc immobilier dédié aux activités d’intérêt général.
Qu’est ce qui a motivé la création de cette association ?
Au bout de dix ans avec Plateau Urbain j’ai constaté que, même si la coopérative s’est bien développée, la situation urbaine en matière de vacance, d’accès au foncier pour les structures de l’économie sociale et solidaire, au développement non basé sur la rentabilité, de solutions immobilières pour le monde de la culture, etc., ne s’est pas vraiment améliorée. Je me suis rendu compte de la nécessité de porter au niveau politique les propositions assurées au niveau opérationnel par des structures d’urbanisme solidaire ou d’occupation temporaires. L’idée était de créer une sorte de lobby de l’immobilier solidaire pour essayer de changer les choses politiquement et ce en s’appuyant sur des membres de la fabrique de la ville solidaire, d’acteurs publics, de l’ESS et de la finance et de l’immobilier traditionnel.
Pour éviter de perpétuer la fabrique d’une ville excluante, la réponse doit aussi être politique, et on peut attendre bien plus de l’Etat pour améliorer la régulation des marchés immobiliers. Je pense aussi qu’il est possible de politiser davantage ce discours d’une ville plus solidaire. Aujourd’hui les thèmes du droit à la ville ou de l’accès à l’immobilier pour des structures de l’intérêt général, ne sont pas vraiment grand public. Or, je crois qu’il est important de parler de ces sujets, de créer un espace pour encourager les politiques à s’en emparer.
Comment agissez-vous pour ce faire ? Quelle vision de la ville présentez-vous aux acteurs qui ont le pouvoir et/ou la volonté de faire « bouger les lignes » ?
Le grand projet est d’arriver à faciliter l’accès à l’immobilier pour les structures de l’intérêt général, et notamment celles de l’ESS. Pour y arriver, il peut y avoir des incitations fiscales, des recommandations de pourcentage du parc immobilier sur le modèle de la loi SRU, des financements dédiés ou tout simplement de la mise à disposition des espaces vacants – dont le nombre explose de jour en jour. L’addition de tous les bureaux et logements vacants d’Ile-de-France représente la surface des dix premiers arrondissements de Paris, ce qui est énorme.
Aujourd’hui l’ESS occupe 30 millions de m2 en France, pour plus de 5Md€ de loyer annuel. Ce sont des structures très importantes, pourtant elles rencontrent de nombreuses difficultés immobilières, menaçant leur existence. Pour tenter de pallier ce problème nous voulons diffuser notre plaidoyer auprès des décideurs. Nous tenons aussi à propager nos idées auprès du grand public, c’est pour cela que nous avons créé, à l’initiative de Caracol, la Coalition Anti-gaspillage Immobilier.
Sur un autre sujet, votre émission radiophonique porte le nom « Ainsi va la ville ». Vous vous placez là en observateur, admettant une sorte d’impuissance face à la trajectoire immuable de la ville. Pensez-vous que la ville soit une entité au chemin tout tracé, difficile à modifier ? Pensez-vous que l’urbanisme est un domaine où il est difficile d’innover ?
La ville existe depuis toujours ou presque ! La Tour de Babel était déjà un projet immobilier planté. La ville n’est pas une ligne droite, n’est pas déjà toute tracée, au contraire. Aujourd’hui on a le tort de considérer comme éternelles des choses qui en fait sont très récentes. Par exemple, le fait de considérer les immeubles comme des actifs financiers, soit des générateurs de revenus, c’est très récent à l’échelle de l’histoire de la ville. Je pense que justement c’est judicieux de se replacer à cette échelle pour prendre du recul et voir que des phénomènes urbains qui paraissent évidents, ne le sont pas forcément…
C’est l’un des intérêts de l’urbanisme temporaire, de remettre en cause de manière douce des préjugés solides de la ville capitaliste et de montrer progressivement que oui, on peut faire différemment, et qu’il n’est pas obligatoire de rationaliser, standardiser, la manière de faire la ville. Au contraire, en y remettant au centre des gens, des non-experts, des envies, des usages, la ville peut très bien fonctionner, et parfois même mieux.
Propos recueillis par Luna Bakar.
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