Dans Péril sur la ville, Philippe Pujol nous propose une immersion dans le quotidien des habitants du quartier Saint-Mauront, sur la butte Bellevue, à Marseille.
© Maximal Productions
Alors que 1300 adresses à Marseille ont été frappées d’un arrêté de péril ou d’interdiction d’habiter en moins de 2 ans, ce film revient sur un péril, plus global, qui pèse sur les quartiers populaires d’habitat ancien à Marseille. Péril sur la ville est une fresque sur des habitants du quartier de la butte Bellevue, à la croisée de Saint-Mauront et de la Belle de Mai, dans les dernières années de l’ère Gaudin (1995-2020). Tourné à l’été 2019, ce documentaire est planté dans un décor marqué par les difficultés urbaines et sociales : l’habitat y est fortement dégradé, et ses occupants connaissent une grande précarité. Surtout, les esprits et les corps restent hantés par les effondrements du 5 novembre 2018, rue d’Aubagne. Après la publication de deux pamphlets à charge contre la municipalité Gaudin sur la situation des quartiers nord, le journaliste indépendant marseillais Philippe Pujol nous familiarise avec ce quartier et ses habitants, dans un film imprégné simultanément de misère et de joie. La langueur du quartier est, cet été-là, troublée par la rumeur d'un projet de percée urbaine, qui créerait une circulation automobile plus intense, au profit du lancement de nouveaux projets immobiliers.
Après une ouverture de film sur des plans en vue aérienne d’une Marseille éventrée par ses axes routiers, la caméra et ses spectateurs s’acheminent vers la butte, guidés par Kader et son scooter, nous y voici. Kader, c’est un jeune homme qui habite la butte ; comme Elisabeth et ses petits-enfants, Nour et Zineb, le Père Vincent. Nous suivons en une heure, son été au prisme du quartier. C’est là un parti-pris affirmé dès les premières minutes du film : présenter sous l’angle individuel, voire intime, la vie des gens dont le fil rouge est le quartier et la rue. Sans filtre ni jugement, le réalisateur nous dépeint leurs conditions d’existence, souvent difficiles, et leurs rêves. Dans cette Marseille caniculaire, les geysers détournés des vannes d’eau des trottoirs animent la vie des rues Félix Pyat, Fontaine, et la bien nommée rue du Jet d’eau, véritables espaces de convivialité quand les intérieurs sont trop délabrés. Les images publicitaires aseptisées d’une Marseille fantasmée sont ainsi loin de la caméra du réalisateur : la mer et la nouvelle skyline d’Euroméditerrannée, pourtant situées à quelques centaines de mètres, n’apparaissent que dans les derniers instants du documentaire, créant un contraste entre la créativité et l’authenticité du quartier, et la froideur de ces silhouettes dessinées par les starchitectes.
Il faut tout d’abord reconnaître au documentaire qu’il présente des personnes issues de classes populaires et d’origine immigrée sous un angle différent de celui du traitement audiovisuel trop souvent réservé aux quartiers populaires, habituellement marqué par le sensationnalisme et des ambiances angoissantes. Nous découvrons la vie du quartier dans une intimité tranquille et bienveillante, qui ne verse pas dans la naïveté ni le misérabilisme. Cela est permis notamment par une structuration maîtrisée de l’échelle des plans. Des prises de vue aériennes s’enchaînent avec des plans rapprochés taille et poitrine sur les autochtones, en passant par des tableaux de groupe témoignant de la vie de quartier. Ainsi, l’espace géographique ici présenté est appréhendé dans son ensemble et situé dans le tissu urbain de Marseille, tout en étant envisagé aussi comme un espace social peuplé d’habitants attachés à leurs murs, même si ceux-ci s’érodent . En sa qualité de documentariste en herbe, Philippe Pujol est totalement absent de cette peinture villageoise, ne nous laissant aucun indice sur ses procédés filmiques ou scénaristiques. Le journaliste nous livre ainsi un propos orienté plus qu’une vision technique et réfléchie sur les enjeux urbains du quartier qui aurait pris en compte l’existence d’autres projets urbains tel que le PRU Saint-Mauront. Au-delà, ce film qui montre ces paysages de ville abandonnée à la merci des promoteurs immobiliers nous fait espérer que l’élection des listes du Printemps Marseillais en juin dernier marquent la fin d’une époque.
Péril sur la ville, documentaire de Philippe Pujol (Fr., 2019, 57 min). Disponible sur Arte : voir le documentaire
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