Actuellement étudiant en master d'urbanisme et d'aménagement à Paris 1, Phileas a partagé son expérience Erasmus à l'occasion de la soirée des stages, césures et mobilités organisée par Magistram en novembre dernier. La Rêv'urba a prolongé la discussion et vous propose un condensé de son année passée dans la capitale autrichienne.
Je suis parti l'année dernière, en 2023-2024, à l'université de Vienne, en Autriche. Ce devait être pour six mois au départ et j'ai décidé de prolonger pour un semestre supplémentaire. Au final, je suis donc parti un an, de septembre à juillet dans le cadre d'une L3.
J'ai fait ma demande quand j'étais en L2, vers novembre-décembre. Ça faisait deux-trois mois que j'y pensais mais je ne me disais pas depuis deux ans : "Il faut que je parte". J'ai fait les étapes un peu les unes après les autres et je pense que j'ai vraiment réalisé que je partais quand je suis arrivé, ce qui n'est pas forcément plus mal. C'est toujours difficile de partir et je pense qu'on n'est jamais vraiment prêt. Mais l'idée, c'est parfois de se pousser un peu. Au final, c'est incroyable, tu en tires toujours des bonnes choses.
Je n'étais jamais parti de Paris, j'habitais chez mes parents. Je me disais que ça pouvait être l’occasion d'habiter seul dans une nouvelle ville. Ça cassait aussi un peu ces trois années de licence qui sont assez similaires. Et puis, il y avait la question de la langue : j'apprends l'allemand depuis la sixième et je me suis dit que si je voulais vraiment le parler, il fallait que je parte.
J'ai failli partir à Rome, où mon frère avait été, mais j'avais peur d'être sur ses pas. J'avais vraiment envie de faire mon propre chemin. C'était agréable de découvrir au fur et à mesure ce qu’il y avait de bien à faire là-bas. Tu te sens très libre, parce que tu arrives dans un pays où tu ne connais personne, et c'est toi qui décides de ce que tu vas faire de ton année ou de ton semestre là-bas. Parfois, c'est un peu stressant, mais cette liberté, c’est hyper agréable ! Et puis, il n'y a personne qui te connaît d'avant et tu peux être un peu qui tu veux.
Tu es forcément perdu au début. Le premier soir, j’étais en train de manger mes pâtes au pesto et je me suis dit : "Mais qu'est-ce que je fais là ?". Je ne connaissais personne, je parlais vite fait la langue, je n'avais jamais habité tout seul, je n'avais jamais été dans ce pays et j’étais là pour 6 mois. Mais très vite, les cours ont commencé et j'ai rencontré des gens géniaux. Je pense qu'il ne faut pas se dire que, quand on arrive, tout va bien aller. Il y aura des moments un peu compliqués : c'est normal. En arrivant, je me suis rendu compte que je ne parlais pas vraiment allemand. Ce que j'avais appris, ce n'était pas un vocabulaire utile à la vie de tous les jours et pour rencontrer des gens. Et puis, ils parlent avec l'accent autrichien : j'avais beaucoup de mal à les comprendre, surtout les personnes âgées. Au premier semestre, j'ai donc beaucoup plus parlé l’anglais. Aussi parce que j'étais surtout avec des internationaux. J’ai gardé de très bons amis du Danemark, des Pays-Bas et d’Australie, et maintenant je me débrouille très bien en anglais.
Au second semestre, je me suis vraiment motivé et je me suis dit : "OK, je parle allemand". J'ai pris des cours intensifs, ça m'a permis de vraiment parler et de rencontrer plus de gens. Maintenant, c’est une langue que je maîtrise, au même niveau que l'anglais. Le second semestre, je me suis vraiment senti étudiant sur place. Au bout de 6 mois, tu as le temps de faire des choses mais quand tu fais un an, tu passes vraiment dans une autre dimension. Tu te sens beaucoup moins "Erasmus" et étranger à la ville. Pas besoin d'être bilingue pour partir, mais je pense que la langue, c'est vraiment un plus pour profiter à fond de l'expérience du pays étranger : tu vas te sentir mieux dans la ville et tu vas rencontrer des gens plus facilement. En Autriche, ils ne sont pas bons pour le small talk, mais très bons pour les grandes discussions. Ça peut être un peu déstabilisant, surtout quand tu veux rencontrer des gens, que t'es un peu ouvert à tout le monde et que tu rencontres des visages à l’air fermé. Mais quand j'ai commencé à bien parler, ça m'a beaucoup aidé. Une fois que tu as fait un Erasmus, tu te dis que ce n’est pas forcément très compliqué d'aller parler à des gens que tu ne connais pas. Tu es beaucoup plus à l'aise socialement. Depuis cet échange, j’ai aussi plus confiance en moi, je pense. Non pas qu'avant, je n'avais pas confiance en moi, mais ce n’est pas rien d’être parti un an dans une ville où je ne connaissais personne et d’avoir créé une vie là-bas.
Si vous avez envie de rencontrer des gens, il faut parfois un peu se forcer à aller aux événements qui sont organisés par la fac, par des groupes WhatsApp ou par Erasmus Student Network. Parfois, je me disais : "Je suis bien chez moi, je pourrais juste regarder un film" mais je me forçais à y aller, surtout au début, parce que c'est là où les gens se rencontrent. Et en fait, au final, personne ne connaît personne, tout le monde veut rencontrer des gens et ce sont de super bons moments. Je me suis retrouvé, les premiers jours, dans des soirées dans des bars où tu peux à peine lever ta chaussure tellement le sol colle, où la musique n’est pas à ton goût, où les verres sont à 1,50€ et tu ne sais pas comment c'est possible. C’était complètement lunaire mais tout le monde parle à tout le monde et c'est marrant. Tout le monde est hyper ouvert et c'est sûr que tu vas passer un bon moment. Au fil des semaines, tu rencontres des gens et tu peux mieux choisir ce que tu fais, où tu vas, etc. Même si c'est compliqué, je pense qu’il faut essayer de ne pas avoir la FOMO, la Fear Of Missing Out, le fait de se dire : "Ah, si je ne vais pas à tel événement, je vais rater l’occasion et les groupes vont se former sans moi". La difficulté, pour moi en tout cas, était de trouver un juste milieu entre se forcer un peu à faire des choses pour créer une vie nouvelle dans cette ville, et ne pas tout faire parce que sinon tu deviens un peu fou. Il faut garder du temps pour soi et des choses que tu as vraiment envie de faire.
J'avais du travail, des choses à rendre, des partiels à la fin de chaque semestre mais c'était assez tranquille. J’étais content d’avoir un minimum de cadre et une base de choses à faire, ça permettait de m’organiser et de dynamiser mes semaines. J'avais entre 8 et 10 heures de cours par semaine, des cours magistraux pour la plupart. Pour moi qui faisais une double licence d’histoire-géo et qui avais énormément de travail, le contraste était assez marqué. Je pense aussi qu’on a plus de temps par rapport au système français, qui est un système hyper exigeant, qui demande beaucoup de rendus, de présence, d'assiduité. J’ai trouvé qu’à Vienne on était plus autonome encore qu'à la fac en France.
Je n’ai pas été hyper stimulé par la fac intellectuellement mais j'apprenais l'allemand à côté, c'était une autre forme de stimulation intellectuelle, et je n'ai jamais autant lu. Le fait de voyager en Europe centrale a développé une passion pour cette région du monde : je ne lis presque que de la littérature d'Europe centrale maintenant. Ça m'a beaucoup ouvert sur la culture de toute cette partie d'Europe que je connaissais moins, une culture artistique, littéraire mais aussi musicale. J'ai appris beaucoup de choses, mais pas forcément via l'université. Alors qu'à Paris j’avais 25h de cours par semaine et beaucoup de travail à la maison, là j’avais le temps de faire pleins d’autres choses à côté, complètement extérieures au travail académique (rencontres, voyages, projets personnels, fêtes, etc.). Ce serait faux de dire que je n’ai rien appris à l’université, mais ce n’est pas du tout l'année où j'ai appris le plus de choses. Parce que j'avais moins d'heures de cours et parce que j’ai décidé de travailler moins aussi. Mais par exemple, j'ai adoré les cours sur l'Autriche-Hongrie du XIXe-XXe siècle. En plus, j'étais vraiment dans cette ambiance parce que tu ressens encore dans la ville cet empire qui a été là pendant des siècles. C'était hyper impressionnant. Cette culture d'Europe centrale, ce mélange de plein de populations. Aujourd'hui encore, Vienne est une ville avec plein de nationalités différentes : des Allemands, des Tchèques, des Slovaques, des Hongrois, des Autrichiens, etc.
Vienne, c'était hyper intéressant sur le plan de l'urbanisme parce que c'est une ville qui fait énormément pour les logements sociaux, c’est une ville avec beaucoup de transports en commun et très calme – parfois un peu trop, quand tu viens de Paris. J'aime beaucoup le vélo à Paris et eux aussi en font beaucoup mais ils respectent énormément le code de la route. Pour moi, c'était hyper bizarre. Architecturalement aussi c’était très intéressant car chaque bâtiment a son identité propre et c’est très coloré. Et puis il faut savoir que Vienne n’a pas de banlieue : quand on sort de la ville, on est presque directement dans les vignes ou les bois. Le fait d'avoir été dans plusieurs capitales européennes m'a décentré le regard et je pense qu'aujourd'hui, maintenant que je commence l'urbanisme, j'ai un regard qui est moins francocentré.
Un de mes meilleurs souvenirs, c’était en octobre, quand je suis parti avec un groupe de douze personnes – avec un Australien, des Anglais, des Britanniques, des Suédois, bref, plein de nationalités. J'en connaissais peut-être deux avant de partir mais ils sont tous devenus mes meilleurs potes pour tout le semestre. On est partis en road trip, en Slovénie et en Italie. Et c'était dingue ! On a été en Slovénie, au bord de lacs magnifiques. Le lendemain, on a été en Italie à Trieste, une ville magnifique, où l’on a pu se baigner dans la Méditerranée en octobre, c'était incroyable. Le soir, on est repartis en Slovénie pour faire la fête dans la capitale, Ljubljana. Avec ce même groupe, je suis parti à Budapest et je suis allé avec trois d’entre eux à Prague. En avril, je suis allé au ski avec des personnes que je ne connaissais pas trois mois auparavant. J’ai aussi été à Venise en train de nuit. J’ai adoré tous ces voyages. En fait, il y a plein de situations où tu te dis que c'est complètement absurde d’être là et un peu irréel et ça, c'est hyper agréable.
Il y a un peu un imaginaire autour de l'Erasmus. Il y a des gens qui se disent qu'il faut cocher des cases, soit voyager énormément, faire beaucoup la fête, etc. En vrai, j'ai beaucoup fait ça, mais si tu as envie de prendre du temps pour toi, de te passionner pour un sujet en lien avec la ville, ou je ne sais pas... Imaginons que tu vas à Vienne, que tu adores la musique et que tu vas tous les soirs à l'opéra parce que c'est hyper accessible, c’est possible ! Je pense qu’il faut essayer, le plus possible, de vivre son Erasmus comme on le souhaite : il ne faut pas se dire qu’il y a un modèle à suivre. C'est plus un moment où tu as plein de temps pour toi et où tu peux découvrir plein de choses et donc il faut faire ce dont tu as envie.
Propos recueillis par Marina Casella
Comments