Présenté par le gouvernement comme un des programmes phares visant à assurer la cohésion des territoires, le programme « Action Cœur de ville » ne semble pas bouleverser les stratégies d’action publique classiques. L’exemple de Périgueux témoigne du tiraillement entre mimétisme métropolitain et adaptation aux spécificités territoriales.
Au cours des années 2010, la question du déclin des villes moyennes a été mise à l’agenda médiatique et politique par la publication de plusieurs ouvrages pointant leurs difficultés, comme celui d’Olivier Razemon (2016). Les villes moyennes, catégorie hétérogène qui comprend les villes dont les agglomérations comptent de 20 000 à 200 000 habitants, ont ainsi longtemps été décrites comme les oubliées des politiques publiques (Santamaria, 2012). Elles sont en effet particulièrement confrontées à la décroissance de la population et de l’emploi, souvent accompagnée de dynamiques de paupérisation, de dégradation du parc de logements et de désertification commerciale en centre-ville (Berroir et al., 2019). Au cours de l’année 2018, le programme « Action Cœur de ville » (PACV), a ainsi été lancé afin de soutenir 222 villes moyennes en France par un ensemble de dispositifs financiers et techniques. A la suite de plusieurs années de travaux scientifiques, d’expérimentations nationales et de politiques publiques locales, le lancement de ce programme semble signer une inflexion dans les référentiels qui guident l’action publique territoriale aux échelles nationale et locale, jusqu’alors dominés par l’encouragement à la métropolisation (Bouba-Olga et Grossetti, 2015).
Si Périgueux connaît certaines fragilités communes aux villes moyennes, la dévitalisation y est moins marquée. Surtout la fragilisation que connaît la ville s’élève à des degrés divers selon les indicateurs retenus. Ainsi, la part de la commune de Périgueux dans son aire urbaine est passée de 47 % en 1968 à 28 % en 2015 suite à un processus accentué de périurbanisation, qui semble se ralentir depuis quelques années. Le taux de chômage s’élève cependant à 20 % en 2015 et le taux de pauvreté à 21 %, même si la ville demeure un lieu d’accueil privilégié des cadres dans un département et une aire urbaine dominée par les professions intermédiaires et les employés. Dans le centre-ville, les logements sont plus anciens et le taux de vacance résidentielle atteint plus de 20%. Enfin, le taux de vacance commerciale est singulièrement faible pour cette catégorie de ville, du fait de la présence touristique. Toutefois, le centre-ville connaît des dynamiques de fragilisation dans certains secteurs. La dévitalisation prend donc à Périgueux des formes multiples selon les espaces de l’agglomération et les thèmes d’action.
A partir des années 1970, les stratégies municipales à Périgueux, prenant conscience de la qualité patrimoniale de la ville, se sont focalisées sur la réhabilitation du centre historique. Elles ont ensuite cherché à promouvoir l’extension du centre-ville, via la piétonnisation des espaces péricentraux et l'implantation de lieux de centralité dans ces espaces, comme l’Hôtel de Ville, le Cinéma Francheville ou le Musée Vesunna, signé par Jean Nouvel. Le centre-ville touristique et commerçant est alors considéré comme assez robuste pour s’étendre. Néanmoins, dès la fin des années 2000, certaines décisions le fragilisent. En 2009, les chambres consulaires et leurs centaines d’employés déménagent du centre-ville vers une zone d’activité en périphérie, et en 2014, une autorisation importante d’extension d’une zone commerciale excentrée est accordée. Les acteurs locaux prennent progressivement conscience de ce processus de fragilisation. Ils tentent d’y répondre principalement par la requalification et l’animation des espaces publics, la formulation de projets d’équipements structurants tels qu’un centre commercial et une cité de la gastronomie, et par l’étirement du centre-ville jusqu’à la gare.
À la suite de la sélection de Périgueux parmi les communes pouvant bénéficier des dispositifs du PACV, ces grands axes de la politique municipale sont renforcés. En effet, il est alors possible d’obtenir des subventions pour financer des actions dites matures, c’est-à-dire des actions dont le mise en œuvre opérationnelle était prévue, voire en cours. Les subventions financières ciblées sur certaines actions des villes lauréates du PACV et l’expertise technique apportée aux collectivités ont aussi créé les conditions d’émergence de projets qualifiés par certains acteurs locaux de « ressortis des cartons ». Si le PACV a permis d’accélérer les projets, il n’a toutefois pas entrainé un renouvellement des stratégies, du moins dans un premier temps.
Le projet de « Quartier Montaigne » est emblématique des effets ambivalents du PACV. La réalisation de ce centre commercial est envisagée dès 2009 sur une place emblématique, en bordure du centre historique. Il est au cœur de la campagne des élections municipales de 2014, et le maire sortant PS qui le promeut est battu par le candidat LR qui le dénonçait. Ce dernier, nouvellement élu, reprend cependant le projet à son compte dès 2015, en dépit des oppositions toujours fortes. Malgré un contexte de mobilisation redoublée des commerçants et de viabilité financière incertaine, la ville parvient tout de même à céder au promoteur immobilier l’espace public sur lequel le centre commercial doit être construit. Dans ce cadre, l’apparition du PACV permet de faire aboutir le projet, grâce à l’engagement de la Caisse des Dépôts, partenaire clef du PACV, comme co-financeur du centre commercial. Le projet cristallise à nouveau les débats lors de la campagne des élections municipales de 2020, et le maire sortant est battu par la candidate PS, opposée à ce projet. Finalement, le PACV a eu, dans ce projet, un triple effet : effet d’aubaine, en y intégrant un projet déjà lancé ; effet d’accélérateur, en assurant la viabilité financière de l’opération ; et effet de labellisation, en accordant à la municipalité une légitimité forte fondée sur l’inscription du projet dans ce programme national face aux oppositions.
Par ailleurs, la mise en œuvre locale a fait émerger de nouveaux enjeux de gouvernance entre la ville et la communauté d’agglomération, ces deux échelles n’ayant ni la même définition du centre-ville, ni les mêmes priorités pour ce dernier. Or, une politique de revitalisation ne semble pouvoir être cohérente seulement si l’approche adoptée est celle des complémentarités entre espaces d’une même agglomération plutôt que celle des concurrences (Berroir et al., 2019). Cependant, les agendas de l’agglomération se sont progressivement alignés sur ceux de la ville-centre, du fait de la prise de conscience ancienne des fragilités du centre-ville, avec une attention particulière portée au rééquilibrage territorial dans les stratégies intercommunales.
Enfin, le cas de Périgueux permet d’éclairer les logiques de standardisation des actions menées, à l’œuvre dans le déploiement du PACV. En effet, dans la mise en œuvre du programme, la présence systématique d’acteurs financiers partenaires comme Action logement, l’Anah ou la Caisse des Dépôts incite à la reproduction d’opérations d’une ville à l’autre. Des temps de rencontres entre villes lauréates du PACV sont organisées à l’échelle nationale et régionale, dans le but de favoriser la diffusion des « bonnes pratiques », ce qui induit là encore des similitudes dans les politiques menées. Au-delà, certaines actions semblent marquées à Périgueux par le standard métropolitain, comme le projet de quartier d’affaires à proximité de la gare TER. Néanmoins, il est probable que le « mimétisme métropolitain se heurte aux singularités territoriales » (Roudier, 2019, p. 242) que sont notamment les capacités d’actions limitées des collectivités et le manque de financements et d’ingénierie.
Un an après le lancement du PACV, le renouvellement des politiques mises en place dans les villes moyennes apparaissait donc limité, avec une prépondérance de projets préexistants et une standardisation des réponses apportées à la dévitalisation des centres-villes. Par le changement de regard qu’il apporte et par les dynamiques de projet qu’il renforce et qu’il pourra probablement initier, il paraît toutefois essentiel de souligner que le PACV ne peut être que bénéfique pour les villes moyennes.
Cet article est issu d’un mémoire de Master 1 réalisé en 2019 sur les stratégies d’action publique locales et nationales de revitalisation des centres de villes moyennes à Périgueux. Ce mémoire se fonde sur l’analyse de données socio-démographiques et une vingtaine d’entretiens avec des acteurs locaux et nationaux. Il a été dirigé par Sylvie Fol, Professeure des Universités, Christophe Quéva, Maître de conférences, et Julie Chouraqui, doctorante à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne.
Bibliographie :
Berroir, S., Fol, S., Quéva, C., Santamaria, F., 2019. Villes moyennes et dévitalisation des centres : les politiques publiques face aux enjeux d’égalité territoriale. Belgéo, 2019-3
Bouba-Olga, O., Grossetti, M., 2015. La métropolisation, horizon indépassable de la croissance économique ? Revue de l’OFCE 143, 117–144.
Razemon O. 2016, Comment la France a tué ses villes ? Paris. Rue de l’échéquier. Coll Diagonales.
Roudier, E., 2019, Quand la ville moyenne entre en gare : entre mimétisme métropolitain et recompositions territoriales. Thèse de doctorat. École d’urbanisme de Paris.
Santamaria, F., 2012. Les villes moyennes françaises et leur rôle en matière d’aménagement du territoire : vers de nouvelles perspectives ? Norois. Environnement, aménagement, société 13–30. https://doi.org/10.4000/norois.4180
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